Identificarea Syldaviei cu Romania, un exercitiu laborios si entuziast, o pledoarie tenace, poate sa fi avut intentii bune, de evidentiere nationala.
In 21 august 2006 in Liberation, Lindon Mathieu vorbeste nu despre o alta ipoteza ci despre o metafora, “O metafora a Belgiei”, care este aceasta tara, Syldavia, inchipuita de Herge. Aici se mentioneaza faptul ca Herge a avut ca model Albania pentru aceasta imaginara tara balcanica, Syldavia.
Pentru a lansa o teorie fantezista este nevoie sa eludezi probe contrare evidente: in acest caz, de exemplu, simbolul Syldaviei si al Albaniei de pe respectivele stindarde care sunt identice.
Un lucru bun in linia “nationala”, este pomenirea si cu aceasta ocazie a numele tarii noastre si cel al unui exeget roman Dodo Nita, concitadinul si colegul nostru.
Ecrivain et spécialiste de Tintin et Hergé, Benoît Peeters est l’auteur de Hergé, fils de Tintin (Flammarion) et coauteur avec le dessinateur François Schuiten des Cités obscures, dont le dernier volume paru est la Frontiere invisible (Casterman).
D’ou vient la Syldavie ?
Dans la brochure la présentant dans le Sceptre d’Ottokar, Hergé place d’emblée la Syldavie comme un pays occupé, soumis a des invasions incessantes. Il y a énormément de précisions sur les invasions successives, les guerres et les redéfinitions de frontieres, meme si Hergé traite des questions territoriales sans montrer aucune carte. On sait que les Turcs ont été des envahisseurs. La Syldavie a une nature balkanique, un Etat paramusulman qui pourrait avoir affaire avec l’ex-Yougoslavie. On a droit a des données incidentes amusantes: on sait qu’il y a un acces a la mer, le port de Douma, comme le montre l’épisode de l’hydravion et des Dupondt tombant a l’eau. On sait qu’on arrive par Prague, puisqu’il y a un avion Bruxelles-Prague puis Prague-Klow. Un exégete roumain, Dodo Nita, a multiplié les publications pour prouver que la Syldavie est la Roumanie. Mais on sait maintenant par les notes préparatoires d’Hergé et ses conversations avec son correspondant chez Casterman que le pays qu’il avait en tete est l’Albanie.
Le Sceptre d’Ottokar paraît en 1939 dans le Petit Vingtieme. C’est un traitement de l’actualité a chaud bien meilleur que celui fait par Hergé pendant les années d’occupation. Comme avec le Lotus bleu et la concession internationale, il parvient a faire passer simplement pour des enfants des choses compliquées, comme il le fera en 1940 avec Au pays de l’or noir et les questions du pétrole et de la Palestine occupée par les Anglais. Dans l’immédiat avant-guerre, il prend a bras le corps, avec des positions plutôt courageuses, les questions politiques dont il essaiera ensuite de ne plus parler.
Ce n’est pas le premier pays que Hergé invente.
Non, c’est déja le cas dans l’Oreille cassée. Mais il y a des sources tres étranges pour la Syldavie. Il semblerait qu’un certain Lewis Fry Richardson ait fait paraître en 1937 dans le British Journal of Psychology un article intitulé “General Foreign Policy”. Richardson était un mathématicien spécialiste des systemes instables dont les travaux seraient encore utilisés en météorologie. Dans cet article que je n’ai pas lu, il met en place un modele mathématique de rivalité entre deux pays, une simulation politique et il aurait introduit non la Syldavie mais la Syldurie et la Bordurie, les noms des deux pays en guerre. On ne pense pas qu’Hergé l’ait lu mais, dans son dernier entretien, il m’a dit “un ami m’a donné l’idée de cette histoire” et j’ai pu retrouver l’ami en question. Avec l’Oreille cassée, il s’est intéressé aux pays imaginaires parce qu’il avait eu des problemes avec le Lotus bleu, pour lequel il y avait eu des protestations de l’ambassade du Japon essayant d’empecher la publication de la fin de l’histoire. Hergé crée la Syldavie et la Bordurie pour parler des annexions nazies sans encourir de reproches. On ne pretait pas a l’époque suffisamment d’importance a la bande dessinée pour faire des analyses fines des deux pays. Mais les avions employés par les Bordures sont des avions allemands, des Heinkles, et les Allemands convoqueront Hergé pour lui dire: “Ne recommencez pas.” Tout le monde a aussi noté que Müsstler, l’homme qui manipule l’annexion, est un condensé de Hitler et Mussolini et aussi, d’ailleurs, de Mosley et Mossert, les nazis anglais et néerlandais.
Quelle est la spécificité syldave ?
Ce petit Etat oublié, parce qu’incertain, au coeur de l’Europe, est une métaphore de la Belgique. Elle était neutre en 1914, mais sa neutralité a été bafouée. Le pays est devenu un champ de bataille et a été ruiné. Apres la mort d’Albert, en 1934, Léopold III est plus neutraliste. Hergé écrit au roi pour le féliciter apres un discours antifrançais en 1936. Il a des liens avec la famille royale et envoie aux princes Baudoin et Albert chaque album de Tintin avec une reliure spéciale qu’il fait confectionner. Il voudrait que le roi ait plus de pouvoir. C’est toute l’histoire de ce roi de Syldavie garant de l’unité du pays mais mal conseillé, dont l’entourage est suspect. Le sceptre est le symbole de ce roi fort et faible: c’est a la fois une arme, puisque c’est ainsi qu’il est entré dans l’histoire du pays, et ce qui doit le conduire a l’abdication s’il ne peut pas le montrer le jour de la Saint-Wladimir. Léopold III reste au pays quand son gouvernement part a Londres et, apres la guerre, on ne sait pas quoi en faire. Il y a le référendum sur la question royale en 1949: les Flamands sont pour son retour, les Wallons contre, et il abdique apres des manifestations qui ont fait plusieurs morts, comme le roi de Syldavie, des 1939, était pret a le faire pour éviter un bain de sang. Apres la guerre, Léopold III est resté des années en Suisse. Hergé dessine dans l’Affaire Tournesol la maison qu’il habitait, au bord du lac de Geneve, mais, par un lapsus malheureux, il en fait l’ambassade bordure.
Il y a un jeu des métaphores dans le Sceptre d’Ottokar qu’on pourrait relier au fameux livre d’Ernst Kantorowicz sur les Deux Corps du roi. Des fondements imaginaires de la monarchie a partir du Christ, a la fois Dieu et homme, qui fait que le roi est roi et Roi, un homme faillible et une figure qui incarne toute une Histoire. Le sceptre rattache le Roi a bien autre chose qu’a lui-meme. Il y a autour de lui une ambiguïté, une duplicité, comme le montre aussi dans l’album l’aventure des freres jumeaux Halambique. Milou, a la fin, quand Tintin a laissé tomber le sceptre sans s’en apercevoir, hésite entre un os et ce sceptre. Tout enfant comprend. C’est une force de Hergé de pouvoir passer de Kantorowicz a un os sans rupture et sans ridicule. Il a mis en place toute une mythologie pour arriver a l’image symbolique d’un chien sur une route qui trouve un os et un sceptre et juge le sceptre plus désirable.
Syldavie et Bordurie vont-elles toujours de pair ?
Autant, dans le Sceptre d’Ottokar, la Syldavie est décrite précisément, autant la Bordurie n’existe qu’en tant que menace. L’attachement a l’égard de la Syldavie va décroître dans Objectif lune, et encore plus dans l’Affaire Tournesol, où Bordures et Syldaves sont mis sur le meme plan. Sans invraisemblance, il n’est d’ailleurs plus question de roi. Léopold III ayant abdiqué, et son absence scandaleuse étant indicible aux yeux d’Hergé, il n’y a plus de roi de Syldavie et on ne peut meme plus y faire allusion, c’est un tabou majeur. Il n’est meme pas la pour le départ de la fusée lunaire que ce pays de 642 000 habitants parvient a faire décoller.
Il y a aussi une frontiere linguistique entre Syldaves et Bordures. La langue syldave est tres proche du marolien, patois bruxellois que parlait la grand-mere maternelle d’Hergé. La devise du pays, “Eih bennek, eih blavek!”, que Hergé traduit “Qui s’y frotte s’y pique”, se traduirait plutôt, a partir d’un marolien approximatif “J’y suis, j’y reste”, ce qui ne manque pas de saveur eu égard a l’abdication. Il y a dans la langue bordure une idée magnifique qu’aucune puissance totalitaire n’est parvenue a mettre en oeuvre : le parti moustachiste a dû créer un accent en forme des moustaches de Pledsky-Glasz, qu’on voit sur les enseignes des magasins et les plaques des voitures. Il y a un texte de Staline sur le marxisme et les problemes de linguistique, mais j’ai peur qu’Hergé n’ait pas été au courant.
Dans Objectif lune, et c’est encore plus net dans l’Affaire Tournesol, la Bordurie est clairement passée dans le bloc de l’Est alors que la Syldavie est occidentale. Quand les Bordures pensent s’etre emparés de l’arme de Tournesol, ils montrent sur un écran de télévision qu’ils ont la capacité de détruire New York, meme si ce n’est qu’une maquette, dans un épisode qui annonce d’une certaine façon le 11-Septembre. Toute l’aventure de l’Affaire Tournesol est de franchir une frontiere et de la faire repasser aux microfilms qui n’ont en vérité jamais quitté Moulinsart. Hergé a la capacité extraordinaire a incarner les métaphores, qui explique pourquoi il peut parler aux enfants de problemes si compliqués et contemporains. Si le sceptre manque, il faut abdiquer. Plus de sceptre, plus de roi. Il arrive aussi a l’incarner graphiquement, comme le fait Hitchcock dans ses films, notamment dans le Rideau déchiré, qui est postérieur, pour ce qui concerne une frontiere. A priori, c’est une notion abstraite, pas plus glamour pour les enfants que la sigillographie, cette étude des sceaux dont le professeur Halambique entretient Tintin au début du Sceptre d’Ottokar. A la fin de l’album, pour éviter que le sceptre ne tombe dans les mains bordures, Tintin n’a d’autre solution que de sauter du haut des rochers sur l’homme qui le détient pour l’empecher de franchir la frontiere. Dans l’Affaire Tournesol, quand il faut pour Tintin, Haddock et Tournesol franchir la frontiere dans l’autre sens pour revenir en Syldavie, il y a une idée splendide pour l’incarner: leur char défonce le bureau de douanes, lui-meme endroit le moins défendu.
http://www.liberation.fr/cahier-special/010157997-une-metaphore-de-la-belgique